Musique joué par Vaughn:

Lorsqu’Aaron m’a proposé une petite sortie à l’arène, j’avoue que je n’ai pas vraiment vraiment sauté de joie. Il allait y voir Joey et son marmot, et avec Joey, disons que nous ne sommes pas les meilleures amies du monde. Loin de là, même. Je déteste son côté sans gêne, le fait qu’elle se croit partout chez elle, et elle, elle déteste le fait que j’ai brisé le cœur de son meilleur ami, des années plus tôt. Comme si c’était comparable. Quoi qu’il en soit, et même si je ne trépigne pas d’impatience de retrouver la pompier, j’ai accepté la proposition. Depuis que je suis arrivée à Détroit, je n’ai pas vraiment eu l’occasion de visiter cette fameuse arène, qui revient pourtant très souvent dans diverses conversations que j’ai pu entendre.

La route jusque là-bas s’est faite sans encombre, il faut dire que les rues sont bien dégagées depuis l’arrivée de ces chers uniformes, qui, s’ils ne sont pas toujours très futés, ont au moins le mérite d’avoir rendu Détroit un peu plus sûr. Quoiqu’il en soit, on arrive à l’arène sans encombre, et je dois dire que même si je ne suis pas une grande fan de ce qu’ils ont fait du stade, je suis plutôt impressionnée malgré tout, même si mon expression laisse supposer que j’en ai simplement…bah…rien à faire. Je ne tarde pas à trouver la première excuse qui me passe par la tête pour prendre une direction différente de celle d’Aaron, mais il nous connait assez bien, Joséphine et moi, pour savoir que je prends sans doute la meilleure des décisions. Je déambule donc dans ce bâtiment beaucoup trop grand à mon goût, et finis par me faire indiquer la taverne par un mec bâti comme une armoire à glace, et qui a un sourire aussi amical que le mien.

Les lieux sont déserts quand j’y arrive, et pour le coup, il ne me faut que quelques secondes pour repérer Vaughn, assied derrière un piano, un verre à portée de main. Sans m’annoncer, je m’installe sur un tabouret, et fixe son dos, tandis qu’il laisse ses doigts caresser les touches de l’instrument, qui émet de douces notes. Ça pourrait presque être agréable, enfin…dans d’autres circonstances. Mon regard doit être un peu trop insistant, non pas que j’en ai quelque chose à faire, si bien qu’il finit par se retourner, son regard tombant sur moi. Et il ne faut pas bien longtemps pour qu’il quitte le piano, et vienne s’installer en face de moi, posant une bouteille d’alcool entre nous. Mon regard fait l’aller-retour entre son visage et la bouteille, avant de fixer une nouvelle fois ses traits, marqués par des traces de coups récents. « -Un café plutôt, si tu as. » Inutile de préciser que je ne bois pas d’alcool, je n’ai aucune envie de me lancer dans l’explication du pourquoi du comment sur le sujet.

Maintenant qu’il est là, en face de moi, j’en profite pour observer un peu plus les lieux, qui de mon humble avis, ne sont pas forcément hyper accueillants. Enfin…ça doit sûrement convenir aux gens d’ici, et faire le taff quand il s’agit de se mettre minable, mais j’avoue que j’aurai peut-être un peu de mal à y passer plus de temps que nécessaire. « -Alors c’est ici que tu te caches quand tu ne te déguises pas en rôdeur… » Mon regard ambré traîne encore quelques secondes sur les tables, le piano, les quelques clients qui sont là, avant de retourner au visage de Vaughn. « -Comment va ta jambe ? »

Attendre que l’eau chauffe ? Ouais, ça devrait pouvoir se faire, même si je ne suis pas réputée pour ma patience. Ce qu’il a d’ailleurs pu tester lui-même lors de notre rencontre, si particulière. Je n’ai pourtant pas toujours été une grande fan de café, mais ça m’a bien aidée par le passé, au cours de mes longues gardes de nuit, notamment. J’ai toujours eu en horreur le jus de chaussettes des distributeurs du commissariat, ou même le café que tentaient de faire certains des collègues, mais heureusement, on avait un Starbucks pas loin, et j’en suis vite devenue une cliente régulière quand le besoin s’en faisait sentir. « -Merci. » répondis-je simplement, observant Vaughn s’éloigner pour aller faire couler ledit café.

Je reste seule quelques secondes, peut-être une minute, avant que le jeune homme ne vienne s’installer une nouvelle fois face à moi, me répondant que sa jambe va mieux. Ce n’était manifestement rien en comparaison à ce qui a dû lui arriver depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. Je reste à l’observer quelques secondes, avant de finalement demander, faisant un petit signe de tête en direction de ses doigts meurtris. « -Je vois ça. Ça devait pas être un coup de pelle, ça. Tu as énervé qui ? » La curiosité ? Connais pas. Et puis, à voir les marques encore présentes sur son visage, ou même sa manière de marcher, j’ai l’impression que ce cher Vaughn a prit cher.

Le café ne tarde pas à arriver, accompagné d’une carafe pleine, et après avoir trinqué, ou quelque chose qui y ressemble, je bois une longue gorgée de breuvage, tandis qu’il me demande ce que je fais là. C’est vrai que quand on s’est quittés, je n’ai pas forcément montré un franc enthousiasme à l’idée de venir dans sa taverne, ou même de le revoir. Je reste silencieuse quelques secondes, le temps de boire une nouvelle gorgée, avant de hausser les épaules. « -J’étais dans le coin, et j’avais un peu de temps à tuer...je me suis dit que c’était l’occasion de venir voir d’un peu plus près cette arène dont tout le monde parle. » Je ne sais pas trop si cet endroit est grand ou pas, si tout le monde se connaît, un peu comme à Fort Hope, ni même comment ça fonctionne. D’ailleurs, en parlant de ça… « -Tu me fais visiter ? »

Je lève les sourcils, et fais une petite grimace. Manifestement, le boss du coin comme il l’appelle, n’est pas le genre de type qu’il faut ennuyer, ou alors, il vous le fait chèrement payer. « Hé bah…il a pas l’air commode ton boss… » J’observe les pansements sur le bout de ses doigts, me demandant si, comme j’en ai l’intuition, on l’a vraiment privé de tous ses ongles. Cette simple idée me fait frémir, et un long frisson remonte le long de mon échine. Heureusement, je plonge dans mon café avant de laisser paraître quoi que ce soit, et ce n’est pas plus mal. Suite aux habituelles questions du « qu’est-ce que tu fais là ? » je demande à ce cher Vaughn s’il peut me faire visiter ce lieu qui provoque tant de jacasseries.

Pour toute réponse, il se tourne vers un autre type qui est là, et qui respire la joie de vivre. Un vrai petit soleil à lui tout seul. Je me demande même si je ne viens pas de trouver la version masculine de moi. J’observe quelques secondes de plus ce Felipe, avant de remarquer que Vaughn s’est levé, ce que je ne tarde pas à faire également. J’emporte la tasse de café avec moi, on ne sait jamais, et le suit dans ces couloirs qui me sont inconnus. Quand il tend vers moi son paquet de clopes, je refuse d’un signe de tête, et lèvre un sourcil à sa remarque. « -Ce n’est pas mon Fort. » C’est même un endroit que j’aurai fui volontiers, et dans lequel je ne me serai jamais installée s’il n’y avait pas eu Cassie. Fort Hope ressemblait à l’endroit le plus sécurisé du coin, alors je n’ai pas hésité longtemps quand il a été question de mettre ma petite sœur à l’abri, mettant de côté mes préférences de survie en solitaire. Quand la situation avec la benjamine de la famille s’est dégradée, j’aurai pu simplement partir, mais…ce n’était déjà plus aussi simple. Il y avait Ezra, puis Aaron, et tout quitter n’était plus envisageable.

Ma tasse à café en main, je suis donc sagement mon guide du jour, qui me mène dans les méandres de l’arène, m’indiquant à quoi sert chaque endroit. La lice est bien plus grande que ce que j’avais pu m’imaginer, et un coup d’œil aux gradins ne manque pas de m’intriguer. Combien de personnes se réunissent ici chaque soir pour se repaître de la douleur, du désespoir, et du sang ? Sans doute bien trop, c’est la seule explication pour que cet endroit ai réussi à perdurer dans le temps. Je pince les lèvres face à ses petits commentaires, alors que la visite se poursuit. « -Des plaisirs, hein ? Je n’aurai jamais soupçonné que tu puisses avoir un petit côté sado-maso… » Car nul doute que derrière cette porte rien de bien plaisant ne se cache. Vaughn nous mène finalement vers les escaliers, et je ralentis la cadence pour qu’il n’ai pas trop l’impression de traîner la patte. L’entraîner dans cette visite de l’arène n’était peut-être pas l’idée du siècle, vu son état.

Monter les étages nous prend pas mal de temps, mais on arrive finalement à destination, sur les toits du bâtiment. Je le vois peiner encore davantage, et s’assoir finalement avec soulagement sur le rebord du toit. Je reste debout un petit instant, détaillant tout autour de moi, avant de venir m’installer non loin de lui, la tasse entre nous. « Aucun souci, je comprends. Tu dois regretter mon simple coup de pelle avec ce que t’as fait subir Tu-sais-qui. » Je laisse un léger sourire étirer le coin de mes lèvres, avant de me tourner vers la ville qui s’offre à nous en contrebas. Ça pourrait presque être beau, si on ignorait les morts qui déambulaient dans lesdites rues pour nous bouffer. « -Chouette vue en tout cas. On oublierait presque que c’est la merde en bas… » Je porte la tasse à mes lèvres, laissant mon regard vagabonder au loin. De tout ce que j’ai pu voir de cet endroit, c’est clairement ce que je préfère jusqu’à maintenant. En même temps, le reste ne vendait pas trop de rêve. « -Pourquoi tu restes ici ? Si le type qui gère ça est un vrai tyran, tu pourrais aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs, non ? »

Si le toit, ou plutôt la vue imprenable qu’on a depuis celui-ci sur Détroit, laisse rêveur, le reste de l’arène n’est pas vraiment ce que je mettrais dans les incontournables des visites de ma ville de cœur. Cet endroit semble même malsain, et si le moindre doute persiste, il suffit de voir l’état de Vaughn, qui a eu le malheur de contrarier le grand Manitou du coin. D’ailleurs, plusieurs petits trucs m’ont interpellé pendant la visite, mais j’ai préféré attendre la fin du circuit, avant de poser les nombreuses questions qui me sont venues en tête. J’ai beau n’avoir assisté à aucun spectacle, et je n’en ai d’ailleurs aucune envie, je sais déjà que j’ai mon avis sur le lieu, un avis bien tranché d’ailleurs, mais j’aurai voulu avoir celui du tavernier du coin.

Je continue de fixer les rues, l’horizon qui s’offre à moi, alors qu’il début sa réponse, me laissant légèrement…perplexe. A tel point que je fronce légèrement les sourcils, et glisse un regard en biais vers lui, sans faire, pour l’instant, la moindre remarque. Mais c’était sans compter sur son discours sur l’esclavagisme, qui cette fois, me fait me tourner vers lui définitivement. Est-ce qu’il s’est pris un mauvais coup sur la tête pendant que César, ouais, rien que ça, s’est occupé de son cas ? J’écoute malgré tout ses arguments, restant silencieuse, même quand il a l’air de se demander, comme moi, ce que je peux bien foutre à Fort Hope, alors que je ne cadre clairement pas avec les lieux. Quand il termine par une petite preuve de son incroyable sens de l’humour, ou ce qu’il croit comme tel, je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel. « -Tu m’étonnes que ton César ai voulu te couper la langue, j’ai pas rencontré aussi pipelette que toi depuis une éternité. Non mais sérieux…César quoi…ce mec doit avoir un de ces égos. Il s’imagine quoi, qu’il est le seul Sang Pur du coin, et que vous êtes les misérables moldus qui doivent le servir, comme de parfaits petits elfes de maison ? » Je reste silencieuse quelques secondes, avant de hausser les épaules, et de rajouter bien vite. « -T’es pas le seul à connaître Harry Potter, mon ex m’a fait regarder les films quand on était encore ensemble. » Et même si ce n’était pas gagné à l’avance, Aaron avait pourtant réussi à me convaincre de regarder avec lui ces films sur ce trio de gosses qui maniait la magie. J’ai fini par regarder la fin de leurs aventures toute seule, après notre rupture, mais ce n’est pas encore quelque chose que je suis prête à assumer à voix haute.

J’attrape la tasse de café, et en bois encore deux gorgées, regrettant presque de ne pas avoir pris le reste de la cafetière avec moi, cogitant sur tout ce que Vaughn m’a dit. Et inutile de préciser qu’il a eu la langue pendue, et que j’ai beaucoup à réfléchir. « -Cette personne, que tu protèges, tu peux pas l’emmener avec toi, loin d’ici ? Loin de ce César et de sa folie des grandeurs ? » Je penche légèrement la tête sur le côté, et observe Vaughn en silence, presque assez de temps pour que ça en devienne un peu gênant. Je me reprends bien vite, me raclant la gorge, avant de me cacher derrière ma tasse quelques secondes. « -Et pour en revenir à Fort Hope, je sais pas si je dois être vexée que tu ne m’imagines pas capable de mener la petite vie post-apo bien rangée de la parfaite ménagère. » Dire que j’ai eu du mal à me faire à cet endroit et ses innombrables règles serait un euphémisme, et je ne compte plus le nombre de fois où j’ai été à deux doigts de refaire mon sac, et de simplement me barrer. La vie en solitaire m’a fait goûter à la liberté, et celle-ci me manque terriblement. « -Ma sœur vit à Fort Hope…entre autres. J’y parle pas à beaucoup de survivants, ou la plupart du temps, dans un cadre strictement…professionnel, dira-t-on. J’ai pris la mauvaise habitude de me couper des autres. Surtout maintenant. Tu sais ce qu’on dit, plus on s’attache, et plus on a à perdre. »

Je reste silencieuse de nouveau, avant de prendre une grande inspiration, et de plonger une nouvelle fois dans mon café. Je me mords la lèvre quelques secondes, avant de finalement demander, lâchant une question sortie de nulle part : « -T’as vraiment dit qu’il y avait des rôdeurs dans les spectacles que vous faites ici ? » Et même si d’habitude je suis impassible, je sais sans me tromper cette fois que mon visage a exprimé ce que je ressens sans pouvoir cacher ce dégoût-là bien longtemps.

Je vois avec facilité qu’il semble surpris que je connaissance le petit sorcier à lunettes, et pourtant, j’ai tout suivi de ses aventures depuis son premier passage par King’s Cross, où il entrait en première année à Poudlard, jusqu’à son dernier passage par la mythique gare, où il accompagnait les enfants qu’il avait eu avec cette chère Ginny Weasley. Et oui, c’est assez surprenant quand on me connaît, que je sois le genre de personnes à en connaître autant sur Harry Potter et ses multiples aventures contre Vous-savez-qui avec ses amis, sur sa jolie chouette Hedwige[/b, et sur les innombrables sortilèges qu’il a jeté avec sa baguette magique. Disons aussi que ça me changeait de mes lectures, séries, et films habituels, qui tournaient surtout autour des tueurs en série, qui m’ont toujours…fascinée. Quand il rebondit sur le fait que je l’ai traité de pipelette, à juste titre, je ne retiens pas une légère moue amusée, que je tente de masquer pour ne pas lui donner raison. « -Dumbledore avait quand même beaucoup plus la classe quand il disait ça… » En revanche, quand il semble suggérer qu’il existe plusieurs façons de le faire taire, je ne peux m’empêcher de le toiser une nouvelle fois. « -Wow…tu perds jamais le nord toi, pas vrai ? J’imagine que tu pensais pas à la méthode de mon poing sur ta bouche, n’est-ce pas ? » Anja : 1 – la délicatesse : 0.

Quand il m’explique qu’il ne peut pas tout simplement quitter les lieux avec la personne qu’il protège, je fronce légèrement le nez. « -Je peux te demander ce qui vous retient ici, exactement ? Parce que de ce que tu m’as dit, ou de ce que j’ai pu voir, ou même entendre, ce lieu craint un peu… » Et ce n’est rien de le dire. Il suffit de regarder sa tête, ou ses mains, pour comprendre où je veux en venir. Et puis, je n’arrive toujours pas à me faire à l’idée que des gens soient prêts à se séparer d’une part de leurs ressources contre une place dans les tribunes pour assister à un duel sur la lice. Cette idée ne parvient pas à s’imprimer dans mon esprit, peu importe dans quel sens je la tourne. Je sais en tout cas que même si j’ai du mal à trouver ma place à Fort Hope, j’aurai encore plus de mal à la trouver ici, au milieu de ces types et de ces nanas qui prônent la violence comme seule raison de vie. Et puis, me connaissant, j’aurai tôt fait d’irriter son Altesse César, et de me retrouver dans le même état que Vaughn. Et même si je ne suis pas vraiment fifille, je ne l’ai jamais été, et que ma dernière manucure date de plusieurs années, je tiens malgré tout à mes ongles.

Je ne sais pas pourquoi je lui ai parlé de Cassie, moi qui ne suis pas une grande bavarde sur ma vie privée pourtant en temps normal. Mais il m’a confié être ici pour protéger quelqu’un, alors…je ne sais pas, c’était le moment idéal de parler de cette petite sœur qui partage mon sang, mais pas vraiment ma vie. Une fois encore, il fait une nouvelle allusion à la saga magique, alors que je lui lance un petit sourire moqueur. « -Un grand homme, ce Dumbledore. Un génie ! Le plus grand sorcier du monde. On dirait que j’ai trouvé son fan numéro 1 ! » Mais il avait sans doute raison malgré tout, sur le fait que sans quelque chose auquel se raccrocher, survivre ne servirait à rien. Et étrangement, je crois qu’on le sait parfaitement tous les deux. Je l’observe à la dérobée quelques secondes, m’interrogeant pour la première fois sur ce qui a pu arriver à ce bonhomme pour que ses pas le mènent jusqu’à cet endroit sordide.

D’ailleurs, à propos de l’arène, Vaughn ne tarde pas à me donner une nouvelle information qui me fait grimacer de dégoût. « -Sérieusement ? C’est écœurant ce qui se passe ici ! Encore plus écœurant de savoir qu’il y a des gens qui payent pour voir ça ! » Nul doute qu’à cet instant précis, la colère doit briller dans mes yeux, ce que je ne cherche pas à cacher. Je ne l’ai jamais rencontré que je sais d’avance que je n’ai aucune sympathie pour ce César, et la façon dont il mène les choses ici. « -Tu sais qui profite de la misère des survivants pour se faire une réputation, et augmenter ses stocks. Tu peux tourner ça dans tous les sens, c’est tout simplement gerbant. » Et emportée par ma colère soudaine, j’ai un large mouvement du bras qui fait valser la tasse, qui s’écrase quelques secondes plus tard sur le bitume dans un fracas. « -Oups…j’espère qu’on va pas m’enfermer dans l’antre des plaisirs pour ça… »

Je ne peux m’empêcher de lever légèrement les sourcils quand Vaughn m’explique que pour la personne qu’il protège, cet endroit est comme sa maison. J’ai peut-être un peu de mal à le concevoir, mais j’arrive à me dire que c’est peut-être lié au fait que je ne suis pas souvent venue ici, c’est même la première fois, et que cette visite ne m’a clairement pas laissé une très bonne impression. J’ai du mal à entendre le fait que cet endroit puisse être rythmé par le passage de visiteurs venus se soûler la gueule, ou profiter d’un spectacle sanguin. Mais c’est sans doute parce que ça ne correspond pas vraiment à mes idéaux, ou mes valeurs, à croire qu’il en existe encore de nos jours. « -Et toi ? Toi aussi tu considères cet endroit comme ta maison ? Parce qu’à t’entendre parler, tu n’as pas forcément l’air d’apprécier ton séjour ici. Je te vois bien me répondre d’un ton très solennel : Poudlard est ma maison.» Je prends une voix grave, censée imiter celle de Vaughn, même si la ressemblance est bien plus que simplement approximative.

Je l’écoute réagir à mes paroles sur ce que me fais ressentir cet endroit d’un air sérieux, plissant légèrement les yeux. Capable du meilleur comme du pire, oui, j’en ai bien conscience. Il faut dire que j’en ai vu pas mal avec mon boulot, ou même depuis que le monde a basculé et qu’il est devenu ce qu’il est. On aurait pu croire qu’avec la quasi-extinction de l’espèce humaine, les hommes en auraient profité pour se montrer raisonnables, solidaires, respectueux les uns envers les autres, mais il n’en était bien sûr rien. Preuve en était, cette fichue arène et ses règles débiles, qui montrait bien que quelles que soient les circonstances, l’homme restait un loup pour l’homme. Le pire prédateur au monde. « -Je crois que question connard, vous avez trouvé votre chef, ici ! » Les mots quittent ma bouche à la vitesse de l’éclair, sans même que je n’ai l’occasion de songer à les retenir. Ouais, heureusement qu’il n’y a pas un espion de César dans le coin, sinon il s’empresserait sans doute d’aller tout répéter à Vous-savez-qui, qui serait très certainement tout sauf ravi de savoir qu’une visiteuse se permet de l’insulter chez lui.

Je me penche un peu en avant, restant silencieuse un instant, songeuse. « -Dumbledore avait encore une fois raison, quand il disait que bientôt nous aurons tous à choisir entre le bien, et la facilité. Je comprends pourquoi tu l’aimes autant ce vieux barbu. » Et un fin sourire parvient même à se frayer un chemin sur mon visage. « -Et je crois qu’on sait tous les deux ce qu’ils ont choisi ici… » Je laisse un léger soupir quitter mes lèvres, avant de me pencher légèrement en avant, essayant d’apercevoir les débris au sol. Maintenant que j’ai involontairement fracassé ma tasse à moitié remplie de café des mètres plus bas, je regrette de ne plus rien avoir à boire. Et j’espère aussi que son Altesse César n’y verra pas un effroyable affront. Je ne voudrais pas qu’il m’envoie sa garde personnelle de détraqueurs.

En revanche, je ne m’attendais pas du tout à la remarque de Vaughn, qui a l’air de croire que mon allusion à la chambre des plaisirs était une sorte de rentre dedans, tout sauf délicat. Et j’avoue que pour le coup, je suis assez étonnée qu’il surenchérisse de la sorte. Je reste à l’observer quelques secondes, sans pouvoir empêcher une expression amusée de poindre sur mon visage. « -Tu devrais pourtant savoir que j’ai un gros penchant pour les menottes. » D’ailleurs, elles ne sont jamais très loin, puisqu’elles sont dans mon sac à dos, et qu’elles m’ont déjà été utile pendant mes expéditions, comme il a pu en faire les frais il n’y a pas si longtemps. Je reste silencieuse un petit instant, avant de demander, rompant le côté flirt de cet instant. « -Y’a beaucoup de monde qui passe par les cachots ? J’ai croisé de très jolies filles dans les couloirs en venant jusqu’à la taverne, j’ai du mal à croire qu’elle puisse survivre longtemps si c’est aussi sordide que je l’imagine. » De parfaites petites Vélanes, féminines jusqu’au bout de leurs ongles manucurés. Hé ouais, rien que ça. Du vernis, des petites robes, des chaussures à talons, et même du maquillage. A croire que l’apocalypse avait glissé sur elle, sans aucune emprise sur leur apparence physique.

Je plisse doucement les yeux quand il me parle de purgatoire, écoutant avec attention ses explications. Alors comme ça, c’est la culpabilité qui le contraint à rester ici ? Ça ressemble à une bien lourde punition. Je reste silencieuse un instant, méditant ses paroles, me faisant la remarque qu’il est peut-être plus torturé qu’il a bien voulu me le montrer lors de notre rencontre, dans ce petit magasin miteux, où il semblait si détaché de tout. Et je dois bien admettre que je ne l’imaginais pas non plus fiancé. Il donne l’air d’être ce genre de mecs qui aime courir les filles, et qui a la langue bien pendue quand il s’agit de draguer de la minette. « -Coupable de sa perte de mémoire, c’est ça ? A moins que ce soit toi qui lui ai donné un bon coup sur la tête, je doute que tu sois responsable de quoi que ce soit… » Mais je crois qu’au fond, je comprends. De la même manière que je me sens responsable du fait que Paul soit porté disparu et qu’on soit sans nouvelle de lui à l’heure actuelle.

J’enjambe le petit muret, de façon à ce que j’ai une jambe dans le vide, et une jambe en appui sur le toit, et l’observe quelques instants me parler du fait que malgré mon attrait pour les menottes, épisode qu’il a moyennement eu l’air d’aimer quand je l’ai attaché la première fois, il se pourrait qu’on trouve un moyen pour s’entendre dans la chambre des plaisirs. Son petit clin d’œil ne passe pas non plus inaperçu, et même si je n’ai pas été courtisée depuis plus de trois ans, je sais reconnaître du rentre-dedans lorsque j’en vois. Mais alors que nous étions en pleins sous-entendus et autres petites phrases à double sens, j’embraye sur un sujet totalement différent, désireuse d’en apprendre le plus possible sur cet endroit. Je ne pense pas me tromper en pensant que je ne vais pas revenir ici de sitôt, voire même peut-être plus jamais. Et pourtant, je dois bien avouer que je suis plus qu’intriguée par ce lieu.

Vaughn semble réfléchir un moment suite à mes interrogations, sans que je sache très bien pourquoi. Est-ce qu’il essaye de penser à ce qu’il peut me dire, ou non, à ce qui risquerait de me faire fuir, ou au contraire, ce qui pourrait me faire péter les plombs ? Non, impossible, il ne me connaît pas encore assez pour ça. J’attends donc sagement qu’il formule sa réponse dans sa tête, et qu’il se mette enfin à parler. Et plus les mots sortent de sa bouche, plus mes sourcils se lèvent, exprimant clairement mon incrédulité. Il me faut un instant pour emmagasiner toutes les informations qu’il m’a lâché, et les digérer. Putain, en fait cet endroit est bien plus tordu que ce que je pensais, et va bien au-delà de simples combats de gladiateurs. « -Je… » J’en perds mes mots, manifestement. Je reste pensive un instant, avant de finalement éclater tout simplement : « -Sérieusement, comment tu fais pour vivre ici ? Je veux dire…y’a même des pros…pardon, des Vestales, qui sont là pour le bon plaisir de ces messieurs…et tu as dit…des esclaves ? » Je me redresse soudainement, me rendant compte que cet endroit recense tout ce qui se fait sans doute de pire en matière d’humanité.

Je quitte le rebord du toit pour me mettre à faire les cent pas devant Vaughn, qui se remet doucement de notre visite de l’arène. Est-ce que quand il est arrivé ici, il a ressenti la même répulsion que moi à cet instant précis ? Est-ce qu’il la ressent toujours et ne reste que pour cette personne qu’il protège ? Ou au contraire, est-ce qu’il est d’accord avec tout ce qui se passe ici ? « -Sérieux quoi, des esclaves…et qu’est-ce qu’ils ont fait, pour mériter d’être esclaves de ce cher César ? Comment est-ce que tout un groupe d’hommes peuvent cautionner ça, et accepter de le suivre, ou de se mettre sous ses ordres ? Ça ne dérange personne cette idée que certains êtres humains sont au service des autres ? Je sais que Fort Hope fait un peu trop Bisounours, mais là quand même…la Rome antique, c’est révolu, hein ! »

Je me retiens de hausser un sourcil quand Vaughn m’adresse un petit sourire étrange que je ne crois pas lui avoir déjà vu. Je reste stoïque, même si je ne doute pas que, comme bien souvent, mon visage exprime tout ce que je ressens à ma place. Je l’écoute donc avec attention m’expliquer pourquoi il se sent responsable, et une fois encore, l’image de Paul me saute aux yeux, si bien que je détourne le regard quelques instants pour fixer l’horizon de Détroit plutôt que le visage du jeune barman. Je hausse les épaules quand il dit que son petit protégé d’après lui n’a d’yeux que pour sa famille. « -Ca se tient comme raisonnement. Tout part en vrilles, il faut bien quelque chose auquel se rattraper, la famille, ça semble plutôt sain. Plus que l’alcool ou les drogues… » J’imagine sans peine que beaucoup de survivants ont dû péter les plombs face aux dangers et à la pression de ce nouveau monde, qui peut se révéler impitoyable, et que tous n’ont pas su gérer ce changement aussi violent.

En tout cas, si la journée d’aujourd’hui m’aura apprise une chose, c’est que l’arène ressemble plus à un lieu de perdition qu’à la version édulcorée et gentillette de Fort Hope. « -Des putes, du sang, et de l’alcool. Tu m’étonnes que cet endroit marche aussi bien… » Je ronchonne à voix haute, continuant à marcher sur le toit, ressassant les paroles que Vaughn vient de me confier. Tout ce qu’il m’a dit me conforte dans l’idée que ce lieu n’est pas pour moi, voir des gens se faire esclavagiser me rendrait dingue, à tel point que c’est sans doute moi qui finirais par me faire caresser le visage par les poings de César. Le barman a beau me dire qu’il s’agit principalement de criminels et autres délinquants, je n’arrive malgré tout pas à me convaincre qu’en faire des esclaves est la meilleure des solutions.

Soufflant par le nez un long coup, je finis par retourner contre le muret, y posant mes fesses, avant de fixer un instant le survivant. « -Comment tu fais ? Pour faire évoluer les choses, je veux dire. J’ai beau ne pas l’avoir rencontré, ce que tu m’as dit de lui me fait penser que ton César n’est pas le genre de mecs à plaisanter si quelqu’un conspire dans son dos…et ne t’inquiètes pas pour ma discrétion…t’as pas dû remarquer, mais je suis pas ce qui se fait de plus sophistiqué en matière de sociabilité… » Et c’est loin d’être un euphémisme, il suffit de me voir au camp, face aux autres survivants, quand je suis contrainte de me lancer dans un peu plus qu’un simple « bonjour ».

Je ne sais vraiment pas comment font les ressortissants de ce lieu pour accepter d’y vivre, et encore moins comment Joséphine accepte d’y élever sa fille. Enfin, elle doit avoir d’excellentes raisons j’imagine, Aaron m’a parlé de son compagnon qui travaillait ici, mais quand bien même, je ne peux m’empêcher de penser que Fort Hope me semble être un endroit plus approprié pour un poupon qu’un lieu où on peut croiser des prostituées et des esclaves dont la plupart sont des meurtriers sans foi ni loi. Quand Vaughn s’esclaffe suite à ce résumé peu flatteur des lieux que j’ai fait, je glisse un regard désapprobateur sur lui, avant de secouer légèrement la tête. « -T'emballes pas non plus, je n’aurai pas été jusqu’à séduisant, je serai simplement restée à barman pas trop mal, mais à l’égo bien trop développé… »

Une fois sur le muret, je pousse un long soupir, et mon regard glisse une nouvelle fois vers Vaughn, qui m’explique comment il doit s’y prendre tous les jours, en toute discrétion, pour essayer de faire évoluer la situation ici. Car aucun doute que contrairement à cette saga que nous avons évoquée un peu plus tôt, ces esclaves ne sont pas des elfes de maison, et qu’il ne suffit pas de leur donner une chaussette pour leur rendre leur liberté. Je me doute bien qu’il joue gros, et que si César apprend sa petite rébellion, je ne donnerai pas chère de sa peau. « -Oui, enfin…je te rappelle que la révolte de Spartacus ne s’est pas très bien terminée… » Et ce ne sont pas les quelques six milles esclaves crucifiés le long de la Via Appia qui diraient le contraire. Je l’observe pendant quelques secondes, avant de détourner le regard pour observer la vue de l’autre côté du bâtiment, aussi loin que je le peux. Je n’imaginais pas vraiment Vaughn du genre à se mettre dans une position aussi délicate pour des gens qui lui sont inconnus, à croire que la première impression qu’il m’a laissée n’était vraiment pas très flatteuse, et que je l’ai finalement mal jugé. Je reste silencieuse encore quelques instants, avant de demander, en continuant de regarder droit devant moi : « -J’imagine que je ne peux rien faire pour aider… ? »

Je reste à le fixer les yeux légèrement plissés, tentant de cacher mon amusement comme je le peux, quand je le vois prendre la situation avec un détachement que je n’arrive pas à m’expliquer. Je crois que je suis devenue bien trop sérieuse pour ce nouveau monde. Et pour le coup, ce ne serait pas ce cher Tyler qui ne me trouve pas assez fun à son goût, qui dirait le contraire. Ses mots ne tombent cependant pas dans l’oreille d’une sourde, et je note l’information dans un coin de ma tête pour mieux l’utiliser plus tard. Je le laisse donc continuer à s’exprimer, croisant les bras sur ma poitrine quand il refuse mon aide, en prétextant que j’ai des proches à protéger, tout en faisant une moue peu convaincue. Enfin…c’était sans compter sur sa dernière remarque, qui me fait grimacer légèrement. « -Hm…je crois que tu manques encore un peu d’entraînement pour cette dernière partie… » Et je lui lance un petit regard entendu, qu’il doit réussir à interpréter sans aucun mal.

Je reste silencieuse un petit instant, observant tout autour de nous, avant de me tourner une nouvelle fois vers Vaughn, posant mes yeux sur lui, quelques secondes. « - On a tous quelque chose à perdre, toi y compris. Et toi aussi, tu as des gens à protéger. Tu l’as dit toi-même, c’est pour ça que tu es ici, dans cette arène. » Je l’observe de nouveau, avant de hausser les épaules. « -Je crois pas que tu seras d’un très grand secours à cette personne si tu te fais crucifier… » Ni d’un quelconque secours à qui que ce soit, d’ailleurs. J’ignore comment ça fonctionne réellement ici, au quotidien, si bien que j’ai du mal à me rendre compte de la difficulté que ça peut représenter, cette ambition qu’il semble s’être donné. Peut-être qu’un soutien extérieur pourrait être le bienvenu, même si je sens que ça va être compliqué de faire changer d’avis cette tête de bourrique.

Je me réinstalle sur le muret, avant de soupirer doucement, ramenant une jambe contre ma poitrine, avant de poser mon menton sur mon genou. « -A mon avis, [b]tu sais qui n’apprécierait pas de savoir que tu complotes dans son dos, à tel point qu’il s’en prendrait à ta jolie petite gueule sans se poser plus de questions que ça. Il a l’air fini à la pisse de Gobelin ce type, à pas plus voir que le bout de son nez. Et tu seras sans doute l’un des premiers suspects de ce gars-là s’il a des doutes sur ce qu’il se passe dans son arène. Tu devrais y réfléchir à deux fois avant de refuser l’aide de quelqu’un qui vienne de l’extérieur, et qui soit totalement externe à ce merdier… »[/color] Quelqu’un comme moi, autrement dit. J’avoue que je ne sais pas précisément dans quoi je me lance, mais si je peux être utile, d’une quelconque manière que ce soit, alors il devrait vraiment en profiter.

On m’a souvent, très souvent même, dit que j’étais têtue, mais je crois avoir trouvé quelqu’un qui l’est sans doute au moins autant que moi. Je fixe donc Vaughn pendant quelques instants, alors qu’il m’explique que dans cette arène, c’est un peu chacun pour soi, ou du moins, c’est comme ça que je comprends les choses. Il va même jusqu’à me dire que s’il lui arrivait malheur, la personne qu’il est venue protéger ici aurait le bon sens de continuer sa vie malgré tout. Dois-je pointer le fait que je trouve ça paradoxal au possible, au regard des paroles qu’il a eu un peu plus tôt ? Non, sans doute pas. Je maîtrise assez bien le sujet pour comprendre quand quelqu’un n’a plus envie de parler de quelque chose, ou cherche à détourner le sujet de la conversation. Je lève donc légèrement les épaules, et lâche un « -C’est toi qui voit… » du bout des lèvres. Pourtant, je dois bien avouer que je me sens titillée par autant de mystère, volontaire ou non.

Malgré tout, ma proposition d’aide ne trouve pas preneur, et Vaughn élude rapidement le sujet, en parlant de ces menottes que je lui ai passé aux poignets lors de notre première rencontre plutôt mouvementée. « -Désolée, mais je n’en ai qu’une paire, et j’y suis plutôt attachée ! » Ce n’est pas le cas, bien sûr, elles étaient simplement sur moi lors de mon entretien d’embauche à Washington, et se sont retrouvées dans mon paquetage quand j’ai pris la route pour Détroit, afin de retrouver Cassie. A vrai dire, Vaughn est même la seule personne sur laquelle je les ai utilisées depuis le début de l’apocalypse. Je reste silencieuse un moment, profitant une nouvelle fois de la vue, que je ne suis pas près de revoir, j’en suis certaine. Au bout d’un instant, je me tourne malgré tout vers le tavernier, en soupirant légèrement : « -Tu ne vas pas te faire taper sur les doigts si tu t’absentes trop longtemps de ton poste ? » Parce que clairement, ses doigts n’ont pas besoin d’une nouvelle punition physique, loin de là, et je ne voudrais pas qu’il ai des ennuis parce qu’il aura joué les guides touristiques avec moi un peu trop longtemps.