Je reste à le regarder fixement après ma déclaration, pour ne louper aucune de ses réactions. Je ne rêve pas vraiment qu’un inconnu, car je ne connais rien de ce Vaughn que je viens seulement de rencontrer, qui est le meilleur ami de mon mec qui n’a gardé aucun souvenir de lui, et dont l’ex petite amie décédée me ressemble comme deux gouttes d’eau, vienne mettre sa tête entre mes jambes pour m’aider à mettre au monde mon enfant. Seulement, s’il n’a pas menti sur celui qu’il est, et vu les soins qu’il m’explique avoir prodigué à Isha je serai tentée de le croire, avoir un infirmier sous la main quand le travail commencera pourrait s’avérer utile. On ne va pas se mentir, je stresse déjà à l’avance pour ce jour qui finira bien par arriver, et que je n’arrive pas à envisager de façon sereine. Pour l’heure, et je doute que quiconque me fasse changer d’avis, je ne vois rien qui vaille à l’idée de mettre au monde un enfant en pleine apocalypse. Alors savoir que Vaughn sera là, qu’un infirmier sera présent au moment fatidique est sans doute une bonne chose. Je continue de l’observer quand il finit par me répondre, et je vois la gêne évidente qui s’est emparée de lui. J’imagine que ma demande est sans doute égoïste, mais à qui d’autre pourrais-je faire appel dans cette arène ? Sa présence sera plus qu’utile avant l’arrivée de Callie. Enfin…j’imagine. Je hoche doucement la tête face à sa parole qu’il me donne, qu’il fera tout pour que tout se passe bien le jour J, et je murmure un simple « merci », avant de détourner lentement le regard.

Il s’occupe quelques instants, sans doute dans le but de dissiper ce malaise qu’il a l’air de ressentir, et rempli mon verre une nouvelle fois, avant de me demander d’où je viens. Je laisse un léger soupir s’échapper de mes lèvres, tandis que je hausse les épaules d’un air désabusé. « -Je viens d’un peu partout… » Et cette simple phrase pourrait résumer à elle seule les années de galère que Marianne, ma chère mère, m’a fait vivre jusqu’à notre arrivée à Détroit à mes seize ans, au gré de ses lubies et de ses aventure. « -Je suis née à Cancun, et j’ai pas mal voyagé les années qui ont suivi, en Amérique latine, tout d’abord, puis ici aux USA, jusqu’à ce qu’on atterrisse à Détroit, quand j’étais ado. Ma mère aimait…voyager. » Ce n’est pas le mot exact, bien sûr. Marianne aimait surtout aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs, et si elle pourrait trouver de nouveaux pigeons à qui emprunter, comme elle aimait si bien le dire, un peu de pognon qu’elle ne leur rendrait jamais. Je ne me suis jamais réellement sentie chez moi avant d’atterrir chez Naya, je n’ai jamais réellement eu l’impression d’avoir une famille non plus. Mais tout a changé lors de notre arrivée à Détroit, et lorsque j’ai rencontré cette vieille bique retord qui a fini par me prendre sous son aile, et que j’ai vite considéré comme ma propre grand-mère. Bon dieu, ce qu’elle me manque. Je me demande ce qu’elle penserait de tout ça. De la fin du monde, bien sûr, mais aussi d’Isha, de notre histoire, de sa petite fille qui est sur le point d’avoir un bébé. Et je sens cette pointe de douleur caractéristique vriller mon cœur en pensant que je ne le saurais jamais.

Alors, pour éviter de m’appesantir sur ce qui fait encore mal, des années après le décès de Naya, je préfère me concentrer sur la deuxième partie des propos de Vaughn. « -Et oui, tu es bien renseignée. J’ai été pompier. A vrai dire, je l’étais encore quand tout a commencé, j’étais sur le terrain quand ça a sérieusement dégénéré, et que tout est parti en vrilles. Aux premières loges…tout comme toi, j’imagine. » Et pendant quelques instants, mon regard se perd sur les images de cette intervention, dans une caserne voisine à la mienne, celle où on a tous compris que c’était la dernière, car on était dépassés par la situation. Même deux ans plus tard, j’ai encore du mal à comprendre comme les choses ont pu dégénérer aussi vite, et le gouvernent avoir été si vite débordé. « -Ca semble bien lointain tout ça maintenant…enfin…et toi alors, c’est quoi ton histoire ? » Car il faut bien l’avouer, je ne suis pas du genre à étaler ma vie devant d’autres, pas forcément par pudeur, mais parce que parler de moi n’a jamais fait parti de mes occupations préférées.

hihihihihi:

Oh oui, qu’ils semblaient lointains ces premiers mois de survie, à essayer de comprendre ce qu’il se passait pour lentement se faire à l’idée que le monde tel qu’on le connaissait était en train de s’éteindre, alors que chaque rue, chaque ville regorgeait de ces immondes créatures qui ne cherchaient rien d’autre qu’à nous bouffer. Je me souviens que j’avais trouvé refuge dans une caserne du coin avec des gars de mon unité, et que la survie s’est organisée, comme on l’a pu. On s’en sortait plutôt bien, on était tous en bonne condition physique, j’imagine que ça a dû jouer son rôle, et on se répartissait les différentes tâches, pour faciliter notre quotidien. On était plusieurs pompiers à survivre là-dedans, et…je ne sais toujours pas ce qui est arrivé à la majorité d’entres eux. Je me souviens simplement que c’était mon tour de sortir en ravitaillement, et lorsque je suis rentrée à la caserne plusieurs jours plus tard, seule, elle était désespérément vide. Cela faisait un moment que je n’y avais plus pensé, et de ces mois de survie en groupe, puis seule, il ne me reste désormais que Bandit, la mascotte de l’ancienne caserne, qui a fini par devenir mon chien, mon fidèle compagnon de route.

Les premiers mots de Vaughn me donnent l’occasion de m’extirper de ces pensées pas très joyeuses, tandis que mes yeux noisette se posent sur lui, et qu’une moue se dessine sur mes lèvres quand il m’explique qu’il rêvait d’aventures et de voyages. Question aventure, j’imagine qu’il est plutôt bien servi depuis deux ans, leur vie étant devenue digne d’un film d’action, avec ses mils rebondissements imprévisibles. Je fronce un peu le nez quand il parle des massacres perpétrés par les militaires, dont j’avais vaguement entendu parler, sans savoir s’il s’agissait de rumeur, de ces histoires qu’on se raconte au coin du feu, ou de faits qui s’étaient réellement passés. J’imagine cependant sans peine que face à la pandémie, aux morts qui revenaient à la vie, le gouvernement, les soldats mêmes, ont vite dû être désemparés, et ont dû faire des choix aussi malheureux que désespérés. La ville même en portait encore les stigmates, les bâtiments, les rues, les habitations détruits par les bombes au Napalm qui s’étaient abattues sur Détroit pour tenter de stopper l’avancée des rôdeurs. En vain. Quand il conclut en disant que sa vie n’a rien de spectaculaire, j’hausse une épaule. Qui a besoin de spectaculaire quand la seule chose qui compte désormais, c’est la débrouillardise, et la ruse. « -Tu t’en es sorti, j’imagine que c’est le principal. Et puis regarde, le hasard t’as même poussé en direction d’Isha… » Et quand on y pense, c’est une sacrée coïncidence, tout de même.

J’étouffe un long bâillement, sentant que la fatigue commence à envahir chaque cellule de mon corps, ce qui ne doit manifestement pas échapper à Vaughn, qui baille à son tour. Je hoche la tête quand il m’explique qu’on devrait normalement ne pas tarder à sortir de là, et la remarque m’échappe avant que je ne puisse faire quoi que ce soit pour l’en empêcher. « -Des esclaves…vraiment, je n’arrive pas à m’y faire… » Je trouve le principe abject, le fait de profiter de la vulnérabilité de certains pour leur faire effectuer des tâches ingrates, des basses besognes dont personne ne veut contre un bout de pain rassis. Isha a bien tenté de me convaincre de prendre l’une d’entre elles, mais cette simple pensée m’a rebuté plus que tout, et c’est Marley, la petite Vestale que j’ai prise sous mon aile il y a de longs mois, qui me tient désormais compagnie chaque jour. Peut-être devrais-je la convaincre de me tenir compagnie la nuit aussi, ça éviterait les situations de ce genre. « -Mais…c’est vrai que je retrouverai avec plaisir mon lit, je suis épuisée. » Et un nouveau bâillement accompagne ces paroles.

Je sursaute bêtement quand un coup sourd retentit contre la porte, avant que tout fasse sens dans mon esprit. « -Oh…on dirait que ton esclave t’a entendu, et qu’il vient nous délivrer ! » Les coups se répètent sur la porte, jusqu’à ce que celle-ci finisse par céder, et s’ouvre sur une tornade brune qui fonce vers moi, pour me prendre dans ses bras. « -Isha ? » Pour toute réponse, il me serre encore un peu plus fort contre lui, pendant de longues secondes, tandis que mon regard mal à l’aise glisse sur Vaughn. Le gladiateur finit par se reculer pour prendre la parole, sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit. « -Oui oui, rassure-toi, tout va bien. Comme tu as pu le constater, la porte était bloquée, alors on attendait que quelqu’un vienne nous sortir de là. » Je lui adresse un sourire rassurant, et m’empresse de descendre du tabouret qui me soutenait jusque-là, glissant ma main dans son dos d’un geste réconfortant. Je connais cette attitude nerveuse, et rien de bon n’en découle la plupart du temps.

Je me sens étrangement gênée tout à coup, alors que je sais très bien qu’il n’y a aucune raison de l’être. Vaughn et moi étions enfermés malgré nous, et un comptoir nous séparait, ce n’est pas comme si Isha nous avait surpris en train de minauder, ou je ne sais quoi, et pourtant, le malaise est bien là. Je me racle la gorge, et me tourne vers le barman, en esquissant une petite grimace. « -Merci pour le verre d’eau…et la compagnie. » Je reste à l’observer quelques instants, avant de lever mon regard vers le brun qui partage ma vie : « -Tu devrais aller dire à Dean que tout va bien, avant qu’il fasse retourner toute l’arène. Je te retrouve dans la chambre dans cinq minutes. » Et même si je lui adresse un sourire encourageant, je vois bien qu’il hésite quelques secondes, son regard se posant sur Vaughn, avant de finalement consentir à s’éloigner, sans doute à contre-cœur. J’attends que ses pas se soient estompés, signe qu’Isha est désormais loin dans le couloir, et je patiente quelques secondes de plus, avant de me tourner vers Vaughn une nouvelle fois : « -Ton secret est sauf avec moi. Isha ne saura pas par moi qu’il te connaissait avant. J’espère vraiment que tu sais ce que tu fais… » Je reste là, à le regarder encore quelques instants, avant de retirer la veste qu’il m’a prêté, la déposant sur le dossier de mon fauteuil, et de quitter les lieux après lui avoir souhaité une bonne nuit, persuadée malgré tout que nous serons amenés à nous revoir bien assez tôt.